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Valéry Giscard d’Estaing et sa politique extérieure : modernité ou continuité ? (3/3)

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Dans les mémoires, Valéry Giscard d’Estaing est souvent associé à un nom… celui de Bokassa, et de ses diamants. C’est pourtant une histoire plus complexe qui relie VGE au continent africain. Ses objectifs : faire de la politique africaine une diplomatie du sourire et affirmer une communauté de destin entre l’Europe et l’Afrique. Pourtant au Tchad, en Centrafrique ou au Congo, son administration connut peu de succès. Ces tentatives militaires, secrètes, économiques ou diplomatiques ont surtout assuré à la France giscardienne la médaille d’or du néocolonialisme en Afrique.

Le contexte politique et économique africain (1974-1981)

VGE; Valéry Giscard d'Estaing; chasse; politique africaine
Valéry Giscard d’Estaing était aussi un président chasseur. Il considère l’Est de la Centrafrique comme son domaine privé.

Le continent africain s’enfonce dans les années 1970 toujours plus dans la guerre froide. Des insurrections communistes s’installent au pouvoir dans les anciennes colonies portugaises de l’Angola et du Mozambique. Les pays qui veulent exporter le communisme n’hésitent pas à apporter une aide économique et militaire aux dirigeants africains quand ils le leur demandent. Au Congo-Brazzaville par exemple, une compétition idéologique entre chinois, soviétiques et cubains fait rage. Dans une usine subventionnée et construite avec des fonds chinois, on fait réciter aux ouvriers le Petit Livre rouge. Dans d’autres, on suspend les portraits de Lénine ou de Fidel Castro. La Libye du général Kadhafi se rapproche elle-aussi du bloc de l’Est tout en développant une doctrine panislamiste et socialiste. Celle-ci aurait vocation à se réaliser dans des projets expansionnistes touchant les anciennes colonies françaises comme le Tchad, la Tunisie ou même la Centrafrique.

De plus, la présidence française défend de nombreux intérêts économiques en Afrique. Elle en est dépendante pour de nombreux minerais, le pétrole, et certaines ressources agricoles comme le café. Des sociétés françaises se trouvent dans certains secteurs en situation de monopole ce qui constitue pour le gouvernement français un important levier politique. Elf Aquitaine, qui exploite le pétrole au Congo-Brazzaville, ou la Compagnie des potasses du Congo, ralentissent volontairement leur production à la fin des années 1970 pour déséquilibrer économiquement et discrètement le régime marxiste de Marien Ngouabi. Le dirigeant est assassiné le 18 mars 1977.

La complexité des affaires africaines et son imbroglio d’acteurs

De nombreux acteurs interviennent directement dans les affaires du pré-carré français. Sont concernés le ministère des Affaires étrangères (le Quai d’Orsay), celui de la coopération, le service de documentation extérieure et de contre-espionnage (SDECE), la présidence de la République et certains réseaux plus ou moins informels, souvent nés de l’action de Jacques Foccard ou des conglomérats économiques comme Elf, qui continuent d’œuvrer dans l’ombre pour défendre des intérêts français. Dès sa prise de fonction, VGE limoge Foccart, à la tête pendant 14 ans du secrétariat général de l’Elysée aux affaires africaines et malgaches. Celui-ci continue d’agir dans l’ombre des présidents. Evidemment les intérêts français ne sont parfois pas compris de la même façon par tous ces acteurs.

Les liens de VGE avec la Centrafrique

Valéry Giscard d’Estaing nourrissait des liens très importants avec la Centrafrique, que l’on appelait alors l’Oubangui-Cheri. Son père Edmond était président de la SOFFO (société financière pour la France et les pays d’Outre-mer) qu’il préside des années 1930 à 1973. Cette société dirige un nombre important de sociétés coloniales et possède notamment de nombreuses actions à la Forestière de Centrafrique. La famille de VGE a un patrimoine qui dépend pour grande partie d’investissements sur le continent africain.

La première rencontre entre Valéry Giscard d’Estaing et Jean-Bedel Bokassa daterait de 1967. En effet, le président français adorait la chasse, notamment à l’éléphant. Dans ses Mémoires, Bokassa affirme que VGE aurait tué au cours de sa vie entre 150 et 200 pachydermes en ne versant aucune taxe à l’Etat centrafricain. A compter de cette date, il visite la Centrafrique tous les ans. C’est probablement dans le cadre de ces visites que Bokassa lui offre les fameux diamants.

Le renversement de Jean-Bedel Bokassa

Soutenu par la présidence Giscard car il préserve les intérêts français en Afrique et lui octroie personnellement une partie de l’Est du pays comme terrain de chasse (sans parler des « rencontres sucrées que Valéry Giscard d’Estaing évoquera à demi-mot dans ses souvenirs »), l’empereur Bokassa dont la cérémonie, fastueuse, a été financée par la France, devient peu à peu gênant. Par son rapprochement avec la Lybie d’abord. Par ses nombreuses atteintes aux droits de l’homme ensuite. Les Etats-Unis ont bloqué leurs aides à la Centrafrique l’année même où la France finançait le sacre du nouveau Napoléon.

Un évènement met le feu aux poudres : des écoliers manifestent par deux fois en janvier et en avril 1979 contre le port de l’uniforme. Dans ce pays demeuré très pauvre, la plupart des familles n’ont pas l’argent pour payer un uniforme à leurs enfants. Un uniforme, confectionné, qui plus est, par l’entreprise français CIOT. C’est un bain de sang. On fait de Bokassa le responsable, sans que jamais sa culpabilité n’ait vraiment été démontrée. C’en est trop pour Paris qui déclenche l’opération Barracuda en septembre profitant d’un voyage en Lybie du « premier basketteur de l’Empire » et le destitue.

Le SDECE en profite pour mettre à sac le palais impérial de Bokassa à Berengo et emporte avec lui richesses et documents. A long-terme ce sac a surtout permis de colporter de nombreuses rumeurs infondées sur Bokassa comme celle de la fosse aux crocodiles ou des congélateurs pleins de cadavres humains pour la consommation personnelle de l’empereur. Il s’agissait alors de légitimer l’action de la France pour l’opinion. Ces préjugés ont encore aujourd’hui la vie dure et contribue au discrédit des dirigeants noirs africains.

Les conséquences de la destitution de Bokassa

Toutefois cet « Amin Dada francophone » entraîna en même temps le président français dans sa chute. Trois semaines après l’opération Baraccuda, Le canard enchaîné révèle l’affaire des diamants. VGE aurait touché en 1973 de son homologue centrafricain des diamants d’une valeur de 100 000 euros. Pour la première fois, le quatrième pouvoir ose défier la présidence de la République. L’enquête de Raphaëlle Bacqué révèle dans quelle mesure la détermination politique de certains journalistes a contribué à faire de cette affaire un scandale d’Etat.

Comment ces documents sont-ils parvenus aux mains du Canard enchaîné ? Par le biais de Roger Delpey, confident de Bokassa et proche de Foccart, qui écopa d’ailleurs à la suite de cette affaire de 7 mois de prison préventive ? (Une lettre de cachet présidentielle.) Par le biais de Maurice Espignasse, l’homme de Foccart en Centrafrique jusqu’en 1974, qui avait assisté à cette remise de diamant ? Grâce aux hommes du SDECE qui ont imparfaitement fouillé le palais de Berengo ? Un nom chaque fois revient, celui de Jacques Foccart. Ce qui ne peut que donner du crédit au récit propagé par l’ancien président. Il devrait sa défaite de 1981 à une alliance tacite entre gaullistes-chiraquiens et socialistes.

Ces deux anecdotes sont néanmoins symptomatiques de la considération française des affaires africaines, comme faisant presque partie de la politique intérieure.

Conclusion

Au Tchad, au Congo comme en Centrafrique, VGE et le SDECE font et défont les présidents. Parfois, les troupes françaises s’engagent pour soutenir un dirigeant controversé comme Mobutu à Kolwezy en 1978. Les services secrets nourrissent eux leur lot d’intrigues et de tentatives d’assassinats. Mouammar Kadhafi, que VGE voulait voir abattre, en savait quelque chose.

 » L’Afrique est le seul continent qui soit encore à la mesure de la France, à la portée de ses moyens. Le seul où elle peut encore, avec 500 hommes, changer le cours de l’Histoire.  » affirme le diplomate Louis de Guiringaud. VGE qui avait reconnu que la France était désormais une « puissance moyenne » voulait user de son influence dans le pré-carré français pour se faire prince. Il s’en est sûrement brûlé les ailes.

Sources complémentaires :

Tuquoi Jean-Pierre, Oubangui-Chari. Le pays qui n’existait pas. La Découverte, « Cahiers libres », 2017, 290 pages.

La réponse de VGE à la télévision sur l’affaire des diamants : https://m.ina.fr/video/I00018049/valery-giscard-d-estaing-a-propos-des-diamants-recus-de-bokassa-video.html

On peut également consulter des mémoires comme celles de Jean-Bedel Bokassa, de Roger Delpey ou de Valéry Giscard d’Estaing.

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Paul BATCABE-LACOSTE

Paul Batcabe-Lacoste est élève normalien à l'ENS Paris-Saclay et étudie la sociologie, le tchèque et l'histoire contemporaine. Ses thèmes de prédilection concernent le sport comme fait social et l'Europe médiane et balkanique. Il est également intéressé par l'histoire des mondes communistes et celle des gauches européennes.

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